Ou comment l’aïki s’est transformé avec les années au point de perdre son essence
L’aïkido est un art martial qui fait débat. Une partie de la population trouve la discipline belle, harmonieuse, visuelle. Les tenues sont jolies, mais globalement, le discours n’est pas basé sur une pratique martiale.
Pourtant, il suffit de regarder quelques anciennes vidéos en noir et blanc ou de prendre les témoignages des anciens, pour comprendre que ça n’a pas toujours été le cas. Des maîtres comme Tadashi Abe, Masamichi Noro, André Nocquet, Mitsugi Saotome, Gozo Shioda, et bien d’autres encore étaient réputés pour leur nervosité et leur dynamisme dans les années 50.
Puis les choses ont évolué. Les maîtres ont vieilli, ils étaient moins nerveux, peut-être plus sages, plus soucieux de leur santé. Le monde a également changé. Soucieux de préserver la paix face à la guerre, de retrouver le lien avec la nature.
L’aïkido est devenu l’expression d’une culture basée sur la nature, le respect de l’autre et pleins d’adjectifs qu’on ne comprenait pas et qui permettaient de se sentir supérieur aux autres…
Aujourd’hui, la majorité des clubs d’aïkido pratique dans la souplesse. On y voit des jeunes plein d’énergie mais qui s’entrainent au minimum, ne transpirent pas et passent leur temps à parler plutôt qu’à s’entrainer. Leurs kimono sont flamboyants, blancs comme la neige la plus pure, et … chers.
Alors que s’est-il passé ? L’aïkido est-il vraiment un art de souplesse et de douceur comme du taïchi à deux ?
Nous saluons le fait que les pratiquants cherchent la paix et le respect mutuel. Mais le constat est que notre discipline a clairement perdu son côté martial. Son dynamisme, et finalement son essence qui en faisait un art vraiment efficace et différent. Pratiquer l’aiki, c’était s’entrainer pour affronter toutes les situations. Sans règles, sans compétition. L’aïki c’est un ensemble de techniques calculées, intelligentes, par les plus grands guerriers pour lutter et éviter des conflits du quotidien. Mais l’aïki est efficace car il tient compte des règles de la nature, de la biodynamique. L’explosivité est une réaction naturelle pour surprendre l’adversaire.
Apprendre l’attaque, se donner au maximum, ne pas refuser le combat, ne sont pas des expressions propres au MMA, la boxe thaï ou le combat libre, ce sont les mots des maitres Ueshiba, Tamura, Nakazono, … il y a quelques années.
La voie de l’aïkido est longue et constituée d’embuches. On apprend en chutant, en recevant des coups, en étant débordé face aux attaquants. Après des années d’entrainement difficile, on commence à saisir la difficulté, et à comprendre l’aïki. On ne comprend rien si on ne passe pas par la base de l’art. La froide sensation des techniques de torsions, de projection ou de choc sur le tatami gelé de l’hiver. Petit à petit on commence à comprendre la discipline et on peut enfin pratiquer avec sérénité et sagesse.
Malheureusement l’aïkido français a pris une autre voie. Une route, un sentier, ou un chemin de terre qui se perd dans la forêt.
En quelques années nous avons réglementé, fédéré, organisé, et tout un univers commercial s’est associé à la pratique. Des stages hors de prix, des fédérations qui refusent les élèves d’un autre groupe, des équipements formalisés et chers, des armes en bois exotique censées être indispensables pour être de bons pratiquants, … Alors que autrefois, on pratiquait en teeshirt, avec un manche à balai sur du parquet, des mousses légères ou du tatami en paille (beaucoup moins souple…).
Mais on se donnait à fond, sans retenue. Apprendre l’attaque est essentiel pour pratiquer sérieusement. On ne fait pas d’aïkido sur une attaque molle. On progresse avec de bons attaquants. On progresse avec des partenaires qui mettent en avant les erreurs du tori. Personne n’est un maitre aujourd’hui. Tout le monde cherche à progresser.
Mais pour cela il faut accepter de ne pas être parfait. Il faut retrouver la source de notre art. Mettre plus d’importance sur le fond que la forme. Se donner à fond. Sans retenue mais avec contrôle pour ne pas blesser. Ce type de pratique est possible. Il suffit d’accepter d’être parfois ridicule parce qu’on a raté une technique. D’accepter de ne pas être parfait. D’accepter la critique si elle est constructive. Alors enfin on retrouvera cette énergie qui rend l’aïkido si beau. Si pur, si efficace.