peut-on codifier les techniques en aïkido et pourquoi ?
Les katas, dans les arts martiaux sont les bases théoriques d’apprentissage. Ils permettent de regrouper des formes de travail dans un enchainement et de pouvoir les transmettre de maître à élève. Héritiers de la tradition orale des arts asiatiques, ils contiennent l’essence de la discipline, sous forme codifiée.
Ils ne doivent pas être vus comme des enchainements stupides et fastidieux à apprendre, mais réellement comme les gestes de bases qui vont nous permettre de progresser. Un peu comme un livre de grammaire posé sur l’étagère que l’on consulte de temps en temps pour se rappeler les bases ou corriger une phrase.
Travailler régulièrement ses katas, s’apparente à réviser ses verbes irréguliers en anglais ou réviser ses gammes en guitare. Tout ceci a pour but de maintenir les réflexes de bases, le travail des déplacements et des techniques essentielles.
Malheureusement, retenir des katas commence par une phase d’apprentissage rigoureuse, et souvent… fastidieuse.
Pour ceux qui ont pratiqué ou pratiquent le karaté, le kata est un travail intégré à la pratique qui a ses passionnés et ses détracteurs. La progression des katas s’y retrouve à tous les niveaux, de la ceinture blanche aux grades avancées qui donnent accès aux katas supérieurs. Chaque style de karaté a ses katas ou ses déclinaisons. Ils sont même devenus une épreuve de compétition très prisée.
En judo, les katas se pratiquent à deux, et sont très codifiés au point d’être considérés comme irréalistes par les néophytes qui n’y voient qu’une danse ridicule. Alors qu’en fait, il donnent toutes les bases du travail. Connaitre ses katas, c’est déjà se préparer à découvrir les techniques avancées. Pour maitriser ses katas, il faut faire preuve d’une grande rigueur qui se retrouvera dans l’ensemble des techniques.
Les katas ne sont pas le propre des arts martiaux japonais. On les retrouve en Kung fu, avec les enchainements Tao, en Penchak Silat (Langka et Jurus), au Taekwondo (Poomsee), En Viet Vu Dao (Quyens)
En aïkido on parle rarement de katas, si ce n’est pour évoquer le travail des bases aux armes bokken, jyo, …
Mais les techniques d’aïkido sont également constituées de bases qu’il faut maitriser pour espérer progresser dans cette discipline. On y retrouve les mouvements épurés, les déplacements, taïsabaki, … Bien entendu cela répond à l’esprit cartésien occidental qui a besoin de repères pour avancer dans la pratique. De repères et de contrôle de sa progression.
Cela n’est pas forcément une erreur. Maitre Tadashi Abe ou d’autres représentants d’Asie l’avaient bien compris. Pour répondre à la culture occidentale, il fallait s’adapter à son mode de réflexion. Le kata des cinq principes en est l’illustration. Développé pour permettre aux occidentaux de marquer leur progression, et visualiser leurs erreurs. Ce kata contient les 5 mouvements de base, qui eux-mêmes contiennent l’essentiel de l’aïkido. Ikkyo est un mouvement simple en apparence, mais il détient en lui un maintien du corps, un déplacement particulier, un contrôle des mains, du corps, etc … Tout ceci est ikkyo.
Mais le kata des cinq principes, popularisé également par André Noquet, est plus qu’un simple catalogue de techniques de bases. Travaillé régulièrement, avec énergie et sans pause, il conduit à une véritable harmonie de pratique. Les deux participants sont généralement vidés après cet enchainement, et heureux d’avoir atteint la fin. Désireux d’enchainer comme Uke ou Tori dans une autre tornade d’énergie !
Voilà ce que disait André Noquet sur le kata des 5 principes :
Conseils sur le « kata des 5 principes »
Les paroles ou le manuel ne peuvent exprimer la véritable essence du kata.
Cette discipline est essentiellement dans la pratique corporelle silencieuse.
Le kata est l’art de se concentrer et d’être présent a l’action du « moment ».
Il nous permet de regarder en nous même pour la recherche d’une vie spirituelle plus intense en nous apportant la liberté intérieure.
La leçon du kata a été bénéfique pour vous si après son exécution vous vous sentez pleinement détendu.
C’est par le kata et en accord avec votre respiration que vous pourrez abandonner votre « ego », et si votre partenaire a laissé en sommeil le sien,
l’unité entre vous deux sera réalisée dans la recherche d’harmonie mutuelle.
Vous accorder avec votre partenaire c’est vous unir avec votre entourage dans un esprit de paix profonde et de coopération.
Dans le kata, l’énergie que vous déployez semble de nature physique, mais par la répétition, elle devient spirituelle
en mobilisant votre subconscient qui devient créateur par abandon de l' »Ego » et qui vous permet de vous unir à la force authentique, le « ki » cosmique.
Pratiquer le kata c’est découvrir votre nature originelle.
Soyez silencieux dans la pratique des 5 principes et laissez votre « moi » au repos.
L’enseignement qui vous est donné ne consiste pas en un long discours, car celui qui enseigne doit vous transmettre son savoir, son expérience de cœur à cœur.
Dépassez le manuel et les explications et découvrez l’esprit créateur qui est amour.
Ayez une posture parfaite, unie à la force qui résulte de la médiation du conscient avec le subconscient.
Concentrez votre énergie dans le hara et déplacez vous sur le tatami « avec le ventre » et non avec vos jambes.
Dans l’application des techniques ne recherchez pas ou n’employez pas la force, mais laissez l’énergie de « ki » communier avec celle de votre partenaire.
Dans chaque technique, oubliez votre « ego » et de deux énergies semblables,
il n’y aura qu’une seule force en unité totale avec l’ordre cosmique qui est Paix et Source de Joie.
André Nocquet
Au bout de quelques années de pratique, on s’aperçoit que les mouvements que l’on maitrise le plus sont ceux … du kata.
C’est ainsi que Maître ABE a poursuivi ce principe et a développé une approche “rationnelle” des techniques basée sur l’apprentissage de 5 séries composées de 10 techniques de base (la 5ème série correspondant au niveau de la ceinture noire shodan). C’est également ainsi que le Shodokan (aïkido Tomiki) propose des enchainements codifiés très rigoureux. On retrouve cette pratique également dans l’aïkido Yoshinkan du maitre Gozo Shioda qui dispose de mouvements extrêmement codifiés et répétés sans relâche par les pratiquants.
En art martial traditionnel issu de l’aïkido, l’aïkivudao s’engage dans ce principe. Jean-Pierre Rouvière, fondateur de l’école, a développé un kata des 5 principes des projections afin de codifier la pratique des mouvements de base : Irimi Nage, Kote Gaeshi, Shiho Nage, Ushi kaiten nage, Tenshi Nage.
Tous ces katas dans l’ensemble de ces écoles, sont répétés régulièrement, et servent généralement de marque de progression lors des passages de grade. Par exemple en aïkivudao, les élèves doivent suivre la progression kata suivante :
- ceinture jaune : kata ikkyo, irimi nage
- ceinture orange : kata ikkyo, nikkyo, irimi nage, kote gaeshi
- ceinture verte : kata ikkyo, nikkyo, sankyo, irimi nage, kote gaeshi, shiho nage
- ceinture bleue : kata ikkyo, nikkyo, sankyo, yonkyo, irimi nage, kote gaeshi, shoho nage, ushi kaiten nage
- ceinture marron : kata ikkyo, nikkyo, sankyo, yonkyo, gokyo, irimi nage, kote gaeshi, shoho nage, ushi kaiten nage, tenchi nage
- ceinture noire : même programme que la ceinture marron mais avec une recherche dans la précision du geste, l’énergie déployée
Sachant que chaque mouvement est exécuté à droite et à gauche, en Omote et Ura, cela conduit à un enchainement de 40 mouvements dès la ceinture marron … Exploit technique mais aussi physique pour les pratiquants !