50 ans, né à Marseille
Série d’interviews des pratiquants d’aïkivudao. Chacun s’est prêté à un jeu de questions-réponses afin de présenter son parcours dans les arts martiaux et dans l’aïkivudao.
– Quand as tu commence l’aikido/aikivudao ?
En 1985, j’avais 15 ans. Cela remonte à 35 ans maintenant … J’ai l’impression que c’était hier…
– Qu’est ce qui t’as emmené à pratiquer ?
Comme pour beaucoup à cette époque, j’étais passionné par le cinéma (et je le suis toujours…), et notamment les films d’actions. Je cherchais un art martial différent. Ou je me sente bien, et dont l’objectif n’était pas juste de frapper, de faire mal, … Je voulais quelques chose qui contienne ce que j’appellerai aujourd’hui une philosophie, une conduite. Je savais déjà que les arts martiaux étaient plus que des sports, mais je ne savais pas trop vers quoi me tourner. Kung Fu, Karaté, … Et puis un jour j’ai vu un reportage sur l’aïkido. J’ai vu des tenues vraiment étonnantes (hakama notamment), cela me semblait très dynamique et les pratiquants semblaient détenir des capacités physiques hors normes (bon, c’était probablement une démonstration…).
J’ai compris que c’est ce que je cherchais. Puis, comme si le chemin se créait tout seul devant moi, mon voisin de palier pratiquait l’aïkido. C’était le genre un peu voyou et bagarreur. Je me suis dit que si lui en faisait, ça devait vraiment être exceptionnel… Je l’ai donc suivi un jour.
J’y ai rencontré immédiatement une force et une énergie qui m’ont captivés. Des élèves qui arrivaient avec leur bokken dans le sac, un petit professeur tout nerveux, des élèves qui ressemblaient à des samouraïs, d’autres à des hippies (dans les années 80 il y avait des gens coupés à la mode GI et d’autres qui avaient la nuque longue…)
Très vite j’ai été accueilli par les ceintures noires, les anciens. L’ambiance du club était exceptionnelle. On avait immédiatement l’impression d’être en famille. En peu de temps j’ai compris que je n’allais pas y rester quelques mois, mais toute la vie !
– Pourquoi l’aïkido/aikivudao ?
L’aïkido (ou aikivudao chez nous), est vraiment un art différent. On a l’impression que celui qui l’a créé à étudié l’anatomie, les mathématiques, la mécanique, afin de trouver toujours la technique la plus rapide, la torsion la plus douloureuse, tout en gardant de la fluidité. Notre professeur, Jean-Pierre Rouvière répétait sans arrêt que la priorité c’est le contrôle.
J’aime bien ce côté un peu humaniste du fondateur. Cette manière de chercher l’art universel, où toutes les énergies sont unies et sont représentées dans la pratique. Ça peut paraître bizarre, mais avec les années on voit les choses un peu comme ça. Il y a dans l’aiki (do, budo, ou vudao…) vraiment une notion d’énergie. J’adore la science, l’espace, et on a vraiment l’impression que toutes les théories scientifiques se représentent dans la pratique. Je reprends souvent des images de planètes, de trous noir, de cascades qui frappent le rocher pour expliquer les mouvements, ce qui peut paraître ridicule… Mais je trouve que l’aïkido c’est ça. C’est la meilleure représentation possible de de toutes les énergies qui passent autour de nous.
– Comment se sont passé tes premiers cours, quel âge avais tu ?
J’avais 15 ans. Au début on ne fait que tomber. J’étais plutôt fragile et timide. Pour être honnête, avec tous les gabarits qu’il y avait à l’époque (Roger, Charlie, Jean-Marc, …), quand il fallait commencer un randori, on y allait la peur au ventre… Mais comme le disait le professeur, « on refuse jamais un randori (sauf blessure) »… Du coup on y allait… C’était dur, les échauffements étaient impressionnants. 30mn à fond, les cours intenses, Jean-Pierre criait sans arrêt. C’était les quartiers nord de Marseille, les élèves y étaient souvent très physiques. Je réalise aujourd’hui que tout ça nous a formé. Certes à la dure, mais surtout à nous donner au maximum. Sans retenue. Je me souviens qu’après un échauffement de dingue et une étude des techniques difficile, Jean-Pierre nous disait, « bon maintenant on y va à fond… » Sauf qu’on était déjà au max !
Par la suite c’est devenu une drogue. Comme beaucoup je visionnais des cassettes, vidéos (oui pas de youtube à l’époque…), j’achetais tous les magazines d’arts martiaux (karaté bushido, dojo arts martiaux, …), des tas de livres. Me déplaçais dans tous les salons des arts martiaux, connaissais tous les magasins d’équipements… Enfin, bref, tout mon budget y passait. J’ai même pris des cours de japonais.
– As tu déjà pratiqué d’autres arts martiaux, lesquels et combien de temps ?
Oui plusieurs mais de manière moins assidue que l’aïkivudao. J’ai fait un peu de boxe thaïlandaise, de karaté Shotokan, de Krav Maga, de boxe française, de jujitsu brésilien. Tout ça parallèlement à l’aïkivudao et de manière beaucoup moins assidu ! Cela m’a fait énormément de bien dans mon aïkido mais aussi dans la manière de l’expliquer. En rencontrant différents enseignants et professeurs, j’ai découvert divers points de vue. Et puis tous ces arts martiaux complètent très bien l’aïkivudao. Dans certains cas, ça permet d’avoir l’argument (technique ou verbal) qui va bien. Mais surtout, cela donne beaucoup d’humilité. Car à chaque nouvelle discipline on repart de la base. On souffre, et on ne comprend pas tout…
– As tu déjà pratique d’autre sports, lesquels et combien de temps ?
Enfant et adolescent, j’ai fait à peu près deux ans de gymnastique, un an de tennis. Et de la natation régulièrement. Adulte je me suis essayé au cross-training pendant un an. Ce fut très intéressant pour concevoir des entraînements personnels.
Jamais de sport collectif, sauf pendant les études. J’aimais bien le volley.
J’aurais adoré faire du surf ou de l’alpinisme. Le surf car c’est une façon de vivre qui me fait penser à la philosophie des arts martiaux, l’alpinisme pour ce côté seul face à la nature sauvage. Qui nous fait réaliser qui nous sommes. Si petits, si fragiles. Mais en même temps capables de temps de choses.
– Que penses tu de l’aïkido moderne ?
Difficile à dire. Je suis resté dans l’idée que l’aïkido est un art martial. J’ai grandi avec les histoires des anciens pratiquants et surtout de Jean-Pierre qui avaient travaillé avec des vrais maîtres. Noro, Tamura, Nakazono, Noquet, Abe… Tous les anciens nous racontaient que l’aïkido des années 50-60 était dur, rapide, cassant, violent. Les entraînements étaient intenses. Sans passer des heures à philosopher. Mais juste en transpirant. On y voyait des pompes, des coups de pieds, des coups de tête…
Puis l’aïkido a évolué. De nos jours on retrouve plusieurs fédérations, plusieurs écoles. Certains passent leur temps à se prendre pour des gourous, d’autres à chercher l’énergie ultime, mais rares sont ceux qui s’entraînent sérieusement. J’ai participé à de nombreux stages dans d’autre fédérations. On y retrouve de très bonnes choses. Mais je n’ai jamais retrouvé ailleurs, la rigueur, la puissance de l’aïkido de jean-pierre Rouvière dans aucune autre école. C’est ce qui fait que j’y reste. Mais je n’irais pas jusqu’à dire que l’on pratique le vrai aïkido. Chacun a sa vision. Mais moi j’ai choisi celle-ci. Toutefois je continue à pratiquer, à chercher dans d’autres formes d’aïkido, ou dans d’autres arts martiaux. Essayer de comprendre, pour s’améliorer dans sa technique, ou dans sa manière d’expliquer les choses.
– Pourquoi continuer à pratiquer ? Qu’est ce que ça t’apporte ? Dans la vie en général ?
Comme le dit Christophe (voir son interview), au bout d’un moment l’aïkido devient une partie de soi. J’y ai passé tellement de temps, qu’il m’accompagne au quotidien. En fait, je crois que l’aïkido est partout. Je me souviens d’une phrase de Jacky Chan dans un film qui disait : « le kung fu est présent dans tout ce qu’on fait, il est présent dans nos rapports avec les autres, tout ce qui t’entoure est du kung fu… » Je crois que l’aiki est la version japonaise de cette idée. Quand on l’a compris, on ne peut plus le quitter.
Et puis effectivement c’est aussi un moyen de garder la forme sans agresser trop violemment le corps. On peut pratiquer à son rythme, comme on peut pratiquer de manière dure. Avec les années, je passe plus de temps à montrer des techniques, mais je continue à donner des échauffements assez physiques.
J’enseigne officiellement depuis plusieurs années. Enseigner est la meilleure des choses. C’est une nouvelle étape. Transmettre, faire en sorte qu’une nouvelle génération de pratiquants prenne goût à cette activité. Connaisse les mêmes moments forts, et prenne le même plaisir à pratiquer.
– Quels sont les meilleurs moments vécus à l’aikivudao ?
Je dirais que toute ma jeunesse était liée à l’aïkivudao. J’ai l’impression d’y avoir grandi… J’y ai rencontré tellement de monde, tellement de gens que je n’oublierai jamais. Certains seront des amis à tout jamais. D’autres ont disparu, on changé de région, on été pris par le travail, mais je ne les oublie pas.
L’aïkivudao a compté jusqu’à 15 clubs répartis dans plusieurs régions et même à l’étranger. C’était l’heure de gloire !
Je me suis fait un jour la remarque qu’il n’ était pas un seul autre endroit où je n’étais ni jugé, ni méprisé, comme ce peut être le cas dans d’autres circonstances de la vie. C’est pour ça que je n’ai jamais arrêté. Je n’arrête pas de m’y sentir heureux.
– Quels furent les moments les plus difficiles ?
Les premiers mois sont difficiles. Il faut au moins 6 mois pour commencer à se faire un peu plaisir dans les techniques. Au début on passe son temps à ne rien comprendre, à tomber, à se relever et à rentrer chez soi courbaturé.
Un moment particulièrement dur est celui où j’ai appris que notre maître, Jean-Pierre Rouvière avait eu un AVC… Ce fut comme si tout s’écroulait. Tout le passé est revenu d’un coup. Entre anciens, on s’est retourné est on s’est demandé comment on allait faire…
Et puis Jean-Pierre nous a prouvé que malgré la maladie, la souffrance, on peut remonter. En quelques temps il a remis les pieds sur le tatami, il a recommencé à donner des cours, non sans difficulté, certes, mais il nous appris qu’on peut toujours se relever. Ensuite j’ai vu le pire arriver. Des gens qui ont profité de cette baisse d’énergie, pour essayer de prendre sa place. Pour l’écraser, se moquer de lui, ou tout simplement ignorer tout ce qu’il avait construit. Les rats s’emparent vite du navire quand le capitaine s’éloigne…
Un autre moment difficile pour moi est quand il a compris qu’il devait arrêter. Que son corps et son esprit ne lui permettait plus de continuer.
Je me suis retrouvé face aux élèves à être celui qui devait conduire l’école. Sur le coup j’étais content d’avoir cette responsabilité. Puis j’ai compris que rien n’est facile. Qu’il y avait beaucoup de travail pour réunir le groupe. Pour retrouver l’unité, un temps perdue.
Ma priorité est que de conserver cet aiki dur tel que nous l’avons appris, de conserver cette ambiance qui nous a accompagné toutes ces années. Mais je sais que je ne suis pas Jean-Pierre. Je n’ai pas son énergie, sa rapidité, sa volonté. Encore moins son expérience.
Mais par contre je sais que je ne suis pas tout seul. Je peux compter sur le soutien des plus anciens. Christophe, Thierry, Alexandre pour les plus vieux ! Puis Gaétan, Harrifou, Damien, Jean-Pierre et puis toutes les nouvelles ceintures noires qui arrivent tout doucement.
Je sais aussi que Jean-Pierre Rouvière surveille de loin son école.
– Comment vois tu ton évolution dans l’aikivudao (enseigner, progresser, passer des grades, ouvrir une salle, faire des stages en donner, …)
Enseigner me semble l’évolution normale, bien que je ne pense pas être un bon enseignant. Donc oui, j’ai encore besoin d’apprendre dans des stages, en travaillant avec tout le monde, du débutant au vieux guerrier. Pour les grades je m’arrête là. J’ai déjà le grade maximum pour notre école et je ne suis pas sûr de le mériter vraiment….
– Quels sont les maîtres d’arts martiaux qui t’inspirent le plus ?
Dans les arts martiaux j’aime beaucoup le kung fu, sans avoir de maître connu. En karaté j’ai toujours été impressionné par maître Taiji Kaze, qui malgré un embonpoint, montrait des techniques parfaites. J’aimais beaucoup les techniques d’entraînement et la fluidité de Rickson Gracie en jujitsu brésilien. Ce gars là avait une philosophie personnelle au-delà de son sport.
J’avais autrefois été impressionné par la maîtrise des armes vietnamiennes de François Nguyen Huu Duc (5ème Dang de Viet Vu Dao).
Également le maître Hiroo Mochizuki, maître dans plusieurs arts martiaux et dont la pratique du Iaïdo, quasi hypnotisante, semble tellement parfaite.
– Quels sont les maîtres d’aïkido qui t’inspirent le plus ?
Je reste captivé par l’histoire de Tadashi Abe, l’un des premiers maîtres japonais à importer l’aïkido en France. Véritable guerrier, ancien kamikaze, officier de marine pendant la guerre. Que dire d’un homme qui était entraîné à se jeter sur un bateau avec son avion ?.. Quel état d’esprit peut-on garder ? Son aïkido était rude, martial, militaire. Mais d’après des témoignages, il était d’une fluidité exceptionnelle. Un guerrier mais aussi un homme dévoué à son maître qu’il vénérait. Il y a bien sûr cette histoire où en revenant au Japon et devant l’assemblée de l’aïkikai il a jeté ses diplômes en constatant ce qu’était devenu l’aïkido d’O Sensei Morihei Ueshiba après sa mort. Fini l’art martial dur et rigoureux qu’il avait connu. Il a tout arrêté à partir de là. J’aurai aimé le rencontrer !
Bien entendu Morihei Ueshiba est aussi une référence. Bien sûr il y a beaucoup de légendes sur sa vie, et ses mouvements sur la fin ressemblaient à de la danse avec des élèves qui s’envolaient au claquement de doigt. Mais ce qui est intéressant c’est la première partie de sa vie.
L’homme qui a fait la guerre, qui a subi des atrocités, qui en a commis probablement.
Puis il y a l’homme qui a trouvé la paix, qui a eu le courage de partir seul avec quelques colons dans des contrées inexploitées, l’homme qui voyait dieu dans chaque pierre chaque rocher, dans l’eau qui coule ou le vent qui souffle. L’homme qui était convaincu que l’aïkido unirait les hommes et rendrait le monde meilleur.
Et ce serait une erreur d’oublier mon professeur Jean-Pierre Rouvière. Que dire de lui.
Dynamique, avec une énergie inclassable. Une grande tolérance envers chacun. Il n’a jamais refusé personne, jamais jugé un pratiquant. Bien qu’intraitable avec ceux qui l’ont trahi.
Il est un modèle pour nous tous. Face à la maladie, toujours debout. Probablement pas immortel, mais presque !
Morihei Ueshiba voulait que l’aïkido se répande à travers le monde. Je sais que Jean-Pierre est l’un de ses prophètes. Il a formé des centaines d’élèves et à tout le moins leur a donné la passion pour cet art martial. il a toujours suivi sa voie et s’est toujours refusé qu’on lui impose des règles qu’il n’acceptait pas. Il a gardé l’aiki tel qu’il l’avait reçu et tel qu’il le conçoit.
Il est toujours resté fidèle à ses amis, dont le maître Nguyen Cong Tôt, et il est toujours resté fidèle à ses idées, à lui-même.
Il est probable que les structures officielles de l’aïkido international ne le remercieront jamais.
Mais il est certain que Morihei Ueshiba, Tadashi Abe ou d’autres l’aurait accueilli à bras ouverts.
– Comment t’imagines tu dans plusieurs années ? Encore pratiquant ?
Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement… Bien sûr avec les années ce sera plus dur. Mais je garde cette image d’Ueshiba qui faisait des échauffements sur le tatami quelques jours avant sa mort, à plus de 80 ans et avec une grave maladie…
Donc après tout, c’est une question de volonté !
– Crois tu que les arts martiaux donnent un « pouvoir supplémentaire » ?…
Un art martial ne vous transforme pas en super héros. Par contre il vous oblige à réfléchir à ce que vous êtes, à repousser vos limites. Il vous donne des capacités physiques. Et vous aide à trouver votre place dans ce monde. Entre tradition, effort, courage, concentration.
Le maître de VietVuDao François Nguyen avait dit ça un jour. Les arts martiaux vous donnent des capacités supérieures aux autres, il faut savoir les utiliser convenablement.
– Souhaites tu t’investir dans la fédération ou la technique ?
Dans la technique. L’administratif est indispensable mais je ne suis pas assez rigoureux pour ça. J’ai besoin de pratiquer et de comprendre ce que je fais. C’est pour ça que j’ai quitté toute activité administrative dans les clubs ou la fédération.